Ailante
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2012
Série photographique – Tirages jet d’encre pigmentaire sur papier Hahnemühle, 60 × 80 cm
Commande de La Garance – Scène nationale de Cavaillon
Réalisée dans le cadre de la résidence du Collectif MxM en tant qu’artiste associé à La Garance (2011–2013)
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2012
Photographic series – Archival pigment prints on Hahnemühle paper, 60 × 80 cm
Commissioned by La Garance – Scène nationale de Cavaillon
Created as part of the Collectif MxM’s residency as associated artists at La Garance (2011–2013)
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Cette série photographique a été réalisée dans le cadre de la résidence du Collectif MxM, artiste associé à La Garance – Scène nationale de Cavaillon entre 2011 et 2013.
À cette époque, je vivais à Marseille. Un jour, j’ai vu pousser un arbre tout contre la façade de ma maison. On m’a rapidement averti qu’il valait mieux le faire disparaître : ses racines pouvaient fissurer les fondations, ses rejets proliféraient, il poussait trop vite. J’ai fini par l’arracher. C’était un ailante, un arbre dont je ne connaissais rien — ni le nom, ni l’histoire.
C’est après ce geste que j’ai commencé à le remarquer partout : sur les bords d’autoroute, dans les friches industrielles, entre deux murs, sur les talus urbains. Il m’est devenu familier, presque obsédant. Présence insistante, clandestine, végétale, l’ailante semblait pousser là où rien d’autre ne pousse. On l’appelle aussi « arbre du ciel ». Ce nom vient du malais ailanto, qui signifie « celui qui s’élève vers le ciel ».
C’est à ce moment-là que La Garance m’a proposé une commande photographique sur les paysages de son territoire d’action : Le Thor, Gordes, Mérindol, Lacoste, Joucas, Noves, Coustellet, Morières… Ces villages forment un espace vernaculaire, traversé par les représentations, le patrimoine, les gestes du quotidien.
J’ai choisi d’y faire voyager l’arbre du ciel. Dans chaque photographie, je l’ai inséré — toujours le même, toujours à la même échelle, placé à distance constante de l’objectif, comme s’il flottait au-dessus des toits, comme s’il parcourait les villages par les airs.
Il m’est alors apparu comme une figure inversée de l’Atlante : non plus le corps soutenant le monde, mais l’arbre porté par le ciel. Une masse silencieuse, suspendue, ni naturelle ni totalement étrangère. Un totem sans racine, une forme poétique de déplacement du vivant.
Loin des codes touristiques, les images jouent de cadrages incertains et de troubles discrets. L’ailante n’est pas là pour orner, mais pour déplacer, déranger doucement, ouvrir une tension. Ce végétal, marginal et indésirable, devient ici messager, trace, fragment mythologique. Il inscrit une fiction minimale dans le réel.
Chaque image agit comme un seuil, au sens proposé par Giorgio Agamben : un point de bascule entre le visible et l’invisible, entre ce qui est perçu et ce qui résiste. L’ailante invite à regarder autrement : à faire place à ce qui pousse, s’impose, surgit — même là où on ne l’attend pas.
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This photographic series was created during the residency of the Collectif MxM, associate artists at La Garance – Scène nationale de Cavaillon from 2011 to 2013.
At the time, I was living in Marseille. One day, I noticed a tree growing against the wall of my house. I was quickly warned to get rid of it — its roots could crack the foundations, its shoots spread uncontrollably, and it grew far too fast. I eventually uprooted it. It was an ailante, a tree I knew nothing about — neither its name nor its story.
After that gesture, I began to see it everywhere: by highways, in industrial wastelands, between buildings, on urban embankments. It became strangely familiar, almost obsessive. A persistent, vegetal, clandestine presence, the ailante grew precisely where nothing else would. It’s also known as the “tree of heaven”, from the Malay ailanto, meaning “that which rises towards the sky.”
At the same time, La Garance invited me to create a photographic series across its network of partner villages: Le Thor, Gordes, Mérindol, Lacoste, Joucas, Noves, Coustellet, Morières… These are vernacular landscapes — modest, inhabited spaces, shaped by routine gestures and local topographies.
I decided to make the tree of heaven travel through them. In each photograph, I inserted the same tree, always at the same scale, always at the same distance from the camera, as if it were floating above the rooftops — drifting from village to village through the air.
It appeared to me as a kind of inverted Atlas — not a body holding up the sky, but a tree being held by it. A silent, suspended mass, neither fully natural nor entirely alien. A totem without roots, a poetic figure of displaced life.
Far from postcard clichés, these images rely on uncertain framings, on subtle disturbances. The ailante is not decorative — it displaces, unsettles, introduces a gentle friction. A marginal and often unwanted species, here it becomes a messenger, a trace, a mythological fragment. It weaves a quiet fiction into the real.
Each image functions as a threshold, in the sense proposed by Giorgio Agamben: a space between regimes of appearance — between what is visible and what resists being seen. The ailante invites us to look differently — to make room for what insists, for what grows, what rises — even where we least expect it.